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lOu jO and cO
1 mars 2006

vive le québec live

Petit article de Télérama :

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Au pays de Céline Dion, une poignée d’auteurs-compositeurs nourris au rock et dotés d’un sens inné du spectacle font souffler un courant d’air frais sur la scène francophone.

Un après-midi de janvier, rue Sainte-Catherine, une des artères principales de Montréal, qui la traverse de part en part. Six degrés centigrades, soleil éclatant, promeneurs en tee-shirt, une vision du printemps en plein hiver. Dans quelques heures, une tempête de neige s’abattra sur la ville, et le thermomètre dégringolera jusqu’à - 15 degrés. « Chez nous, la météo et la musique, c’est pareil, sourit Pierre Lapointe : que du contraste ! » A 24 ans, silhouette longi-ligne et tignasse ébouriffée, il est l’un des talents les plus prometteurs de ce qu’il faut bien appeler « la nouvelle scène québecoise ». Oubliez la cohorte de chanteuses hurleuses exportées du froid qui ont envahi nos ondes depuis quelques années, les Dion, Boulay ou autre Marie Carmen. Oubliez aussi les incurables nostalgiques de Félix Leclerc ou de Gilles Vigneault, avec rimes lyriques sur accent rocailleux. Le Québec, ça n’est pas que le pays des cabanes enneigées, du sirop d’érable et des artistes à voix. Il se passe quelque chose dans la chanson francophone de là-bas. Et les maisons de disques françaises ne s’y trompent pas, qui vont régulièremt faire leur marché le long des rives du Saint-Laurent. Ainsi, outre le Pierre Lapointe susnommé, débarquent chez nous Marie-Jo Thério, fantasque elfe blond aux chansons lunaires, Ariane Moffatt, ballerine vocale à l’électro-jazz agile, Dobacaracol, duo d’intrépides globe-trotteuses des rythmes, ou Dumas, pop-rockeur enluminé.

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Tous ces jeunes auteurs-compositeurs-interprètes bousculent rites et clichés sans se soucier ni des modèles locaux ni des cousins anglo-saxons. Ou plutôt en les mélangeant, les triturant pour en extraire la substantifique moelle et proposer leur élixir à eux. La plupart ont entre 25 et 35 ans, ont grandi avec Clash ou Nirvana plus qu’avec Charlebois ou Beau Dommage. Mais tous ont l’amour de la langue française, béguin qui est aussi un acte de résistance, dans un pays cerné géographiquement et culturellement par les Etats-Unis.


« Chanter en français, pour moi, c’est presque un geste politique, affirme Dumas. Pour écrire dans une langue, il faut avoir grandi avec. » A 26 ans, il a déjà publié deux albums et composé la musique du film du comédien, humoriste et réalisateur Yves Pelletier, Les Aimants. Son dernier CD, Le Cours des jours, est un langoureux cocktail d’électro-pop et de rock sixties, aux arrangements chantournés, entre trip-hop et psychédélisme. Malgré ses influences résolument binaires, entre Smashing Pumpkins et Cure, et son prénom à consonance plutôt saxonne (Steve), Dumas le preux francophile se garde d’utiliser le moindre mot anglais dans ses chansons: « J’aurais l’impression de trahir ma culture. » Ce qui n’est nullement le souci de Marie-Jo Thério, dont l’album jongle entre ballades déchirantes, swing de music-hall ou comptines pop, avec des phrases au jargon « québecoglais » du style « T’es tellement smooth quand t’allumes ta smoke »… « Plus que les mots, m’importent les sonorités, les ambiances », confie Marie-Jo. Côté ambiance, cette ex-héroïne d’un feuilleton télé très populaire au Québec (là-bas on dit « téléroman ») ne craint personne. Jolie gueule d’atmosphère, sorte de croisement de Cosette (elle joua le rôle dans la comédie musicale Les Misérables), de Kate Bush et de fée Clochette, l’enfant du Nouveau-Brunswick tisse d’une voix à la raucité enfantine un étrange univers aux paysages enneigés, où les arbres s’entêtent à porter des fruits, où l’on se love dans la tiédeur d’un café nommé Robinson pour mieux écouter la saga d’Evangeline, héroïne de la révolte acadienne. Sur scène, dans une semi-obscurité parfois lardée de projections de films, elle bouscule le spectateur, partagé entre émotion, rire, ravissement et malaise. Sa formation théâtrale n’y est pas pour rien.

Le théâtre, c’est aussi le dada de Pierre Lapointe, olibrius protéiforme à la voix de velours acide, capable de proposer trois spectacles différents dans la même année, de se produire avec un orchestre de musique contemporaine ou un quatuor à cordes, de brasser le menuet à la Jean-Baptiste Lully ou l’électronique la plus avant-gardiste. Ce grand gaillard aux faux airs de premier communiant pervers, venu tardivement à la chanson après des études d’arts dramatique et graphique, adore jouer les dandys arrogants et nonchalants. Lui qui se revendique de Marcel Duchamp et des surréalistes affirme avoir grandi avec Björk et les Beastie Boys, cultive autant le souci de l’image que celui du son. Chacun de ses concerts est mis en scène avec un soin maniaque. Le dernier, La Forêt des mal-aimés, le fait évoluer dans un sous-bois dont les silhouettes d’arbres sont sculptées à même les rideaux. C’est Errol Flynn croisant Alice dans la forêt de Sherwood… « J’essaie d’appliquer à la musique les différents chocs artistiques que j’ai eus dans ma vie. Pour moi, tout vient des arts visuels. Quelqu’un comme Piet Mondrian, un peintre néerlandais abstrait du début du XXe siècle, qui travailla sur les couleurs, m’a énormément influencé. La musique doit être en couleurs ! En studio, pour faire comprendre aux musiciens l’ambiance musicale que je désire, je leur montre des photos. »


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Carole et Doriane, alias Dobacaracol, deux bourlingeues qui swinguent en brésilien, en wolof ou en hébreu.


Tiens, voilà sans doute ce à quoi devraient réfléchir les jeunes baladins un tantinet nombrilistes de chez nous, ceux dont la conception du récital se limite trop souvent à gratter une guitare, le pied sur un escabeau, en fredonnant de jolis vers bien troussés. Frappe, chez nos cousins québécois, un sens quasi inné du spectacle, de la mise en scène. Chanter, c’est aussi raconter des histoires, tradition sans doute héritée des veillées d’antan. Les histoires, Dobacaracol s’en va les puiser aux quatre coins du monde. Ces deux bourlingueuses qui mélangent chanson et world music, percussions et harmonies vocales partagent une même passion : le voyage. Le style sac à dos et Pataugas, hors des sentiers battus du tourisme musical. Les deux filles, Carole et Doriane, se sont croisées en 1998, dans… une rave. Rencontre improbable d’une ancienne championne de snowboard native de Colombie-Britannique et d’une chanteuse de rue d’origine française. Dès le lendemain, elles décidaient de faire de la musique ensemble. Armées d’un recueil de proverbes africains mis en musique par leurs soins, elles hantent les bars de Montréal avant de réaliser trois ans plus tard leur premier album, au titre éloquent de Calme-son. Hébreu, espagnol, brésilien, wolof, peu leur importe la langue, pourvu qu’elle swingue et résonne. Vive le rythme et la phonétique ! Doriane et Carole (Dobacaracol vient de la contraction de leur deux surnoms) s’ébattent et caracolent désormais du Japon en Australie, en compagnie de quatre musiciens menés par Momo, le batteur ivoirien chef de file de la « connection black » de Montréal. Leur dernier disque, Soley, les fait poser en amazones sexy et bigarrées, batifolant dans un champ de blé. Grâce au titre Etrange, sorte de ritournelle sensuelle et ensoleillée façon Manu Chao, l’album a déjà dépassé les 40 000 exemplaires au Québec. Un excellent score dans un pays d’environ 7,5 millions d’habitants, où l’on est couronné disque d’or avec 50 00 ventes (100 000 en France, pour 60 millions d’habitants…).
 
Etonnant marché que celui du disque au Québec : les labels locaux y représentent près de 80 % des ventes, laissant à peine 20 % aux compagnies multinationales, phénomène unique dans les pays occidentaux. Tel Indica Records, structure indépendante créée par d’anciens punks qui, outre Dobacaracol et d’autres musiciens, distribue aussi des artistes français comme Sanseverino, La Rue Ketanou ou Tryo. La société Audiogram, créée par Michel Bélanger, frère du chanteur Daniel Bélanger, s’enorgueillit, de son côté, de compter à son catalogue quelques-uns des fleurons de la chanson du cru : comme Jean Leloup, sorte de croisement entre Higelin et Iggy Pop, parrain punkoïde et foutraque de la nouvelle scène locale, Marc Déry, folk singer bucolique capable d’évoluer entre jazz, classique et musique du monde, ou Karkwa, rockeurs atmosphériques, qui ont collaboré avec Brigitte Fontaine. Outre ceux de Pierre Lapointe, le label publie aussi les albums de l’étonnante Ariane Moffatt.


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Imaginez un petit bout de femme pétillante, au gosier rivalisant avec les plus grandes chanteuses de jazz, juchée derrière ses claviers et parsemant ses chansons à la mélancolie narquoise d’arrangements électroniques que ne renieraient point Björk ou Madonna. Elle qui cite Nick Drake, Tori Amos ou Ben Harper parmi ses influences majeures a remporté il y a quelques années le concours télévisé de L’empire des futures stars, sorte de Star ac locale, avant d’être découverte par le public français à la faveur d’une chanson de M, La Bonne Etoile : « Je l’ai croisé un jour à Montréal, raconte-t-elle, il était assis à une terrasse de café. Je l’ai abordé en lui proposant de faire un remix d’un de ses titres : il a accepté et c’est devenu un duo. Ma bonne étoile, c’est un peu lui… » Depuis, Ariane a suivi le fil, perfectionnant encore sa technique vocale dans un nouvel album qu’elle présentera en France au mois de mars, en première partie de la tournée d’Alain Souchon.
 
Acoustique ou électronique, sensuelle ou trépidante, résolument moderne et suavement surannée, images et rythmes au diapason, la nouvelle chanson québecoise pourrait bien insufler un courant d’air salutaire dans le paysage musical francophone. Côté binaire, Cowboys Fringants, gang tonitruant façon Mano Negra du froid, ou Malajube, combo punk mélodique, font déjà la pige au rock d’ici. Bref, ça vit, ça bouge, ça galope. Comme dit Pierre Lapointe, « je ne veux pas être perçu comme un chanteur franchouillard, plutôt comme un peintre qui expérimente ». Une belle galerie de tableaux.


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A ECOUTER :
Pierre Lapointe, "La Forêt des mal-aimés", Audiogram (à paraître en septembre, ffff).
Concerts : les 24 et 25 avril au Café de la danse, Paris 11e.
Dumas, "Le Cours des jours", Tacca Music/Exclaim (fff).
Concert : le 28 avril à la Cigale, Paris 18e.
En tournée du 30 mars au 13 mai.
 Dobacaracol, "Soley", Wagram (à paraître le 2 mai, fff).
Concerts : le 28 avril à Ivry-sur-Seine, les 2 et 3 mai à l’Opus Café, Paris 10e.
Ariane Moffatt, "Aquanaute" (lire Télérama no 2912, fff) et "Le Cœur dans la tête" (à paraître le 15 mai, ffff), Labels/Virgin.
Concerts : du 16 mai au 3 juin, à l’Européen, Paris 17e.
Marie-Jo Thério, "Marie-Jo Thério", Naïve (lire Télérama no 2889, fff).
Concerts : du 12 au 29 avril au Théâtre du Renard, Paris 4e.
Jean Leloup, "Je joue de la guitare", compilation 1985-2003, Audiogram (à paraître en mai, fff).

   

 

Philippe Barbot   (envoyé spécial à Montréal)

     
 

Télérama n° 2929 - 1 mars 2006

 



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Commentaires
A
Je suis fan. Fan d'Aiane, fan de Dobacaracol que j'ai eu le plaisir de voir sur scène à Amiens. Quel talent! Quelle chaleur! et ton site est vraiment tres agreable.<br /> bonne continuation
V
Alalaaaaa<br /> Pierre LApointe, Dumas, Dobacaracol, Arianne Moffffaaaaaaat... Que de gens que j'aime =)<br /> Je l'aime beaucoup aussi ce Philippe Barbot ^^<br /> Vive lui ^^<br /> Vive télérama ^^<br /> Vive le Québec<br /> Vive toua<br /> Vive nous :D<br /> Bizous
T
Ca donne envie tout ça de découvrir beaucoup de musiques :D
lOu jO and cO
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