le cygne noir
A l'occasion de la diffusion sur France 3, mercredi prochain 15 mars à 16h10 de "Le cygne noir", je vous ai pêché ce petit article daté de 2002 sur la piraterie au cinéma. :)
Spécialité du cinéma hollywoodien, le film de
pirates est, en fait, un sous-genre du film d'aventures. La plupart des
chefs-d'œuvre du genre ont en effet été produits dans les studios
américains. Seule la cinématographie italienne et son homologue
française ont timidement esquissé une approche du genre. Le film de
pirates possède la plupart des schémas et des conventions propres au
cinéma d'aventures, mais, contrairement à celui-ci, qui s'est
partiellement reconverti dans l'heroic fantasy,
il a pratiquement disparu aujourd'hui. On peut d'ailleurs se demander
pourquoi ce genre – qui fit les délices du cinéma du samedi soir et qui
réunissait dans un même enthousiasme les enfants et leurs parents – est
aujourd'hui inexistant. Il faut, pour le comprendre, remonter aux
origines du film de pirates, en rappelant auparavant quelques
définitions.
Le dictionnaire nous indique que l'on entend par pirate
«une personne qui court les mers pour se livrer au brigandage». Le
corsaire, au contraire, fait légalement la guerre, muni de lettres de
marque. Le boucanier est un marin chassé par les Espagnols, qui a
rejoint la flibuste dans l'île de la Tortue et occupé Saint-Domingue.
Quant aux flibustiers, ce sont – toujours selon le dictionnaire – des
«pirates luttant contre les Espagnols dans les colonies des Antilles».
Tout semble a priori simple, mais le résultat est plus complexe, car,
d'une part, un corsaire qui n'a plus de lettres de marque devient un
pirate et, de l'autre, le cinéma hollywoodien a volontiers confondu
corsaires et pirates.
Pouquoi des films de pirates ?
Dès le cinéma muet, le film de pirates a trouvé sa place dans la production hollywoodienne grâce aux deux éléments qui vont assurer sa notoriété, les romans dont il se sert et les acteurs qui interprètent les héros, pirates ou corsaires. Le troisième facteur, moins connu du public, est par ailleurs bien évidemment la présence de réalisateurs exceptionnels et rompus à toutes les variétés de films d'aventures. C'est Warner Bros. qui la première a donné le ton, en produisant deux films qui seront plus tard à l'origine de deux célèbres remakes, Captain Blood, de David Smith (1924), avec J. Warren Kerrigan dans le rôle du valeureux Peter Blood qui finira corsaire en combattant les Français, et L'Aigle des mers tourné la même année par Frank Lloyd avec Milton Sills.
Cette fois-ci, ce sont les Espagnols qui sont les ennemis du héros, qu'ils ont condamné aux galères. Captain Blood s'inspire d'un roman de Rafael Sabatini, par ailleurs l'auteur de Scaramouche
et l'un des romanciers dont le film de pirates se sera souvent inspiré.
Le genre est déjà en place. Le public se passionne pour ces navires
dont le vent gonfle les voiles, pour ces aventuriers, condamnés aux
fers et capables de s'évader, de s'emparer des navires sur lesquels ils
sont retenus captifs et de combattre Espagnols et Français pour le plus
grand renom de l'Angleterre. Il y avait un romancier (Sabatini), il
manquait un acteur prestigieux. Ce sera Douglas Fairbanks dans Le Pirate noir, d'Albert Parker, en 1926. Fairbanks a alors quarante-trois ans. Il a déjà été Don Diego Vega, alias
Zorro, d'Artagnan, Robin des Bois et le voleur de Bagdad. Il symbolise
à lui seul la témérité, l'humour, l'héroïsme et le panache. Le Pirate noir
va lui permettre une fois de plus de mettre en valeur son goût et ses
dons pour les cascades les plus spectaculaires – souvenons-nous de la
manière dont il utilise la toile d'une des voiles du navire ! – et,
pour contribuer à rendre encore plus attractif le film, Fairbanks – qui
le produit en partie – le tourne en couleurs. Le film de pirates y
gagne ses lettres de noblesse, et Hollywood idéalise déjà le terme de
pirate grâce au sourire de Fairbanks.
Hollywood chante et danse...
L'arrivée du parlant, à partir de 1927, va pourtant mettre un frein à
l'envolée du film de pirates et du cinéma d'aventures en général.
Hollywood cherche avant tout à mettre en avant les chansons et les
dialogues, privilégiant les films musicaux ou les drames interprétés
par de célèbres comédiens de Broadway. Il s'agit de promouvoir coûte
que coûte le film sonore pour inciter les salles de cinéma à s'équiper
en nouveau matériel. Le western lui-même est obligé de créer quelques
cow-boys chantant... On oublie alors le film de pirates pendant sept
ans, jusqu'à ce que, la littérature aidant, la Metro-Goldwyn-Mayer
produise en 1934 L'Ile au trésor,
d'après le roman de Robert Louis Stevenson. Une nouvelle fois, les
éléments constitutifs du genre sont réunis. On découvre une île –
presque – déserte, un trésor caché (celui du capitaine Flint !), le
pirate Long John Silver, campé par Wallace Beery, avec sa jambe de bois
et son inévitable perroquet, et un jeune héros (Jim Hawkins), dont la
présence facilitera l'identification avec le jeune spectateur. Mais,
une fois de plus, le film de pirates n'a toujours pas d'acteur
spectaculaire (Faibanks s'est retiré de l'écran en 1934). C'est alors
qu'Errol Flynn va jouer pour le film de pirates le rôle tenu par
Fairbanks à la fin du muet. La Warner fera de ce jeune Australien – qui
a vingt-neuf ans en 1935 – le héros de Capitaine Blood à la
place de Robert Donat, initialement prévu. Tout est en place pour
assurer le succès du film que l'on confie au – déjà – vétéran Michael
Curtiz. Victime de son devoir de médecin, Peter Blood est condamné et
déporté ; il réussit à s'évader, s'associe avec un pirate, combat les
Français et finit comme gouverneur au bras de celle qu'il aime et que
joue Olivia de Havilland. On constate ici qu'un condamné devenu pirate
peut se transformer en un valeureux corsaire. Cinq ans plus tard, la
Warner récidive avec L'Aigle des mers. Curtiz y dirige à
nouveau Errol Flynn dans le rôle d'un valeureux corsaire combattant
pour la reine Elisabeth au côté d'autres capitaines, surnommés les
«aigles des mers». Le film permet à la Warner de dénoncer, par-delà la
tentative d'invasion de l'Angleterre par l'Invincible Armada de
Philippe II, ceux qui seraient tentés de l'imiter. C'est bien
évidemment Hitler qui est ainsi visé, à plusieurs siècles d'intervalle.
Quelques mois avant que l'Amérique n'entre en guerre, le film de
pirates a choisi son camp, celui de la liberté. On notera, au titre des
ambiguïtés du genre, Les Flibustiers, de Cecil B. De Mille
(1938), avec Fredric March, dont le héros est Jean Lafitte, personnage
authentique qui se porta au secours de La Nouvelle-Orléans au cours de
la guerre d'Indépendance, avant d'être victime du comportement de
certains de ses associés, qui agirent plus en assassins qu'en
pirates...
La fin des années 1930 voit le retour triomphal du cinéma d'aventures et du western de série A. La conquête des grands espaces maritimes ou terrestres et la présence de valeureux héros permettent d'oublier, le temps d'une séance, les conflits qui ravagent le monde. Le film de pirates hollywoodien confond, une fois de plus, corsaires et pirates, et idéalise dans un même élan les uns et les autres. Durant une quinzaine d'années, jusqu'au milieu des années 1950, le film de pirates sera un genre important non seulement par le nombre de films produits, mais surtout par leur qualité. Désormais, certains des meilleurs cinéastes hollywoodiens tournent des films de pirates. Henry King met en scène Le Cygne noir (1942, d'après Rafael Sabatini, avec Tyrone Power et Laird Cregar dans le rôle de Henry Morgan), Frank Borzage, Le Pavillon noir (1946), Raoul Walsh, Barbe-Noire le pirate (1952, avec un héros éponyme sympathiquement truculent et victime de Henry Morgan), Jacques Tourneur, La Flibustière des Antilles (1951, avec Jean Peters dans le personnage du capitaine Anne Providence) et Robert Siodmak, Le Corsaire rouge (1952, avec Burt Lancaster bondissant de vergue en vergue). Dans ce dernier film, le scénariste Waldo Salt, future victime de la «chasse aux sorcières», exalte le patriotisme révolutionnaire et stigmatise l'oppresseur (une fois de plus, les Espagnols !). Errol Flynn revient lui-même au genre avec A l'abordage (1952), face à une Maureen O'Hara qui tire l'épée et le sabre avec la même dextérité que lui, et Le Vagabond des mers (1953), de William Keighley. Charles Laughton, de son côté, personnifie le Capitaine Kidd en 1945. La notoriété du film de pirates dépasse alors le cadre précis du genre. Walt Disney produit Peter Pan, et les enfants découvrent le capitaine Crochet (Captain Hook en v.o.), Abbott et Costello rencontrent le capitaine Kidd (Abbott and Costello Meet Captain Kidd de Charles Lamont, 1952) , encore joué par Charles Laughton, Bob Hope interprète La Princesse et le pirate (David Butler, 1946) et – surtout – Vincente Minnelli tourne en 1948 Le Pirate avec Gene Kelly et Judy Garland, la plus subtile variation sur le mythe du pirate, idéal sublimé de la jeune Manuela.
La victoire du réalisme
«La Seconde Guerre mondiale, déclarait le producteur Hal B. Wallis, a
apporté un grand changement dans les goûts du public. La popularité du
film d'aventures a décliné. Les films à grand spectacle sont devenus
trop chers, et le public a préféré les histoires contemporaines qui
parlent de problèmes de tous les jours.» Comme le film de cape et
d'épée, le film d'aventures s'efface au milieu des années 1950. Errol
Flynn et Stewart Granger n'auront pas de successeurs. De temps en
temps, un film – Cyclone à la Jamaïque, d'Alexander Mackendrick en 1965 – retrouve les canons du genre. Sean Flynn, le fils d'Errol, tourne Le Fils du capitaine Blood
(1964), et tout rapprochement serait inconvenant entre ce film et le
chef-d'œuvre de Michael Curtiz. L'Italie, qui s'est souvenue d'Emilio
Salgari (Il Corsaro Nero en 1937) produit sans génie mais non
sans humour quelques aventures réalisées au début des années 1960 par
Domenico Paolella et un Capitaine Morgan signé André De Toth et Primo Zeglio. Rien n'est inoubliable, pas plus que le Surcouf en deux parties de Sergio Bergonzelli, avec Gérard Barray. Plus curieux sont Les Pirates de la nuit de John Gilling (1963) et les réminiscences du mythe dans Fog de John Carpenter (1979), Hook de Steven Spielberg ou The Goonies de Richard Donner. Ni Pirates de Roman Polanski (1986) ni L'Ile aux pirates de Renny Harlin (1995), avec Geena Davis, ne sont enthousiasmants, même
si l'on continue pour notre bonheur de spectateur d'y hisser le
pavillon noir... Aujourd'hui, la piraterie est ailleurs. Les pirates
barbaresques qui menaçaient Angélique, marquise des Anges, s'attaquent
aux avions ou à l'informatique. Alien Resurrection (1997), de Jean-Pierre Jeunet, révèle que les pirates de demain sont encore plus dangereux que ceux d'hier...